interdictions amdh

Des restrictions indues Ă  la libertĂ© d’expression et d’association de groupes – parmi lesquels Amnesty International – critiquant le bilan du Maroc en matière de droits humains jettent une ombre sur le Forum mondial des droits de l’homme, qui doit s’ouvrir jeudi 27 novembre Ă  Marrakech. Le Forum risque de sonner creux, Ă  moins que les autoritĂ©s ne lèvent les restrictions pesant sur les groupes de dĂ©fense des droits humains et n’autorisent les organisations internationales telles qu’Amnesty International Ă  se rendre librement dans le pays.

Amnesty International est confrontĂ©e Ă  des restrictions depuis le lancement de sa campagne mondiale pour l’abolition de la torture, il y a quelques mois. Les autoritĂ©s marocaines ont interdit un camp de jeunesse d’Amnesty International programmĂ© pour septembre, et refusĂ© l’entrĂ©e sur leur territoire d’une dĂ©lĂ©gation d’Amnesty International chargĂ©e d’effectuer une mission d’Ă©tablissement des faits en octobre. Une deuxième visite d’Ă©tablissement des faits prĂ©vue pour novembre a Ă©tĂ© annulĂ©e par l’organisation après que les autoritĂ©s marocaines ont imposĂ© des conditions qui s’apparentaient Ă  des restrictions.

La crĂ©dibilitĂ© de la confĂ©rence sur les droits humains qui dĂ©butera sous peu a Ă©tĂ© entamĂ©e par la dĂ©cision de huit groupes, parmi lesquels des associations importantes de dĂ©fense de ces droits, de ne pas participer Ă  l’Ă©vĂ©nement afin de protester contre une sĂ©rie d’interdictions visant des activitĂ©s publiques qu’elles organisaient. Elles ont annoncĂ© leur dĂ©cision lors d’une confĂ©rence conjointe Ă  Rabat le 24 novembre.

Ces groupes incluent l’Association marocaine des droits humains (AMDH), la Ligue marocaine de la dĂ©fense des droits de l’homme (LMDDH), l’Observatoire amazigh des droits et libertĂ©s, la branche marocaine de l’Association pour le contrat mondial de l’eau, la branche marocaine de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC Maroc), le groupe de dĂ©fense des droits humains du mouvement Al Adl wal Ihsan (Justice et bienfaisance), Freedom Now (ComitĂ© pour la protection de la libertĂ© de la presse et d’expression) et le comitĂ© de coordination du Mouvement du 20 FĂ©vrier Ă  Rabat. La plupart des interdictions ont visĂ© l’AMDH, qui a vu un grand nombre de ses activitĂ©s bloquĂ©es, notamment des assemblĂ©es et des rĂ©unions ordinaires, des camps d’Ă©tĂ© pour les jeunes, ainsi que des formations aux droits humains et des Ă©vĂ©nements plus mĂ©diatisĂ©s Ă  l’intention du grand public.

Les autoritĂ©s marocaines ont interdit le 16e camp de jeunesse annuel d’Amnesty International, qui devait se tenir Ă  Bouznika, près de Rabat, la capitale, au cours de la première semaine de septembre, bien que l’organisation ait respectĂ© la lĂ©gislation marocaine lors des prĂ©paratifs de cet Ă©vĂ©nement. Les autoritĂ©s n’ont pas informĂ© Amnesty International de leur dĂ©cision. L’organisation en a pris connaissance par l’intermĂ©diaire d’un communiquĂ© de presse diffusĂ© par Maghreb Arabe Presse, agence de presse officielle. Ce camp de jeunesse, qui attire de jeunes membres d’Amnesty International issus de la rĂ©gion Moyen-Orient et Afrique du Nord, mais aussi d’Europe, avait Ă©tĂ© organisĂ© sans ingĂ©rence tous les ans depuis 1998.

Les autoritĂ©s ont bloquĂ© une rĂ©union privĂ©e de la LMDDH, programmĂ©e pour le 27 septembre au Centre Bouhlal Ă  Rabat. Le prĂ©sident de la LMDDH a dĂ©clarĂ© Ă  Amnesty International que le ministère de la Jeunesse et des Sports, propriĂ©taire et gĂ©rant de ce lieu, avait demandĂ© au groupe d’obtenir une autorisation prĂ©alable auprès du ministère de l’IntĂ©rieur, fait inhabituel. Il a ajoutĂ© que bien qu’il en ait fait la requĂŞte, le ministère n’a pas prĂ©sentĂ© ces nouvelles exigences par Ă©crit, compte tenu de leur absence de fondement juridique. Il a dit Ă  Amnesty International qu’un reprĂ©sentant du ministère a expliquĂ© que de nouvelles consignes avaient Ă©tĂ© diffusĂ©es selon lesquelles les groupes de dĂ©fense des droits humains souhaitant utiliser des locaux appartenant Ă  l’État devaient obtenir au prĂ©alable une autorisation auprès du ministère de l’IntĂ©rieur.

Un Ă©vĂ©nement public organisĂ© par l’AMDH sur le thème « mĂ©dias et dĂ©mocratie », qui devait se tenir le 27 septembre Ă  la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc, Ă  Rabat, a Ă©tĂ© interdite. Des reprĂ©sentants des autoritĂ©s locales ont affirmĂ© que le groupe de dĂ©fense des droits humains n’avait pas dĂ»ment notifiĂ© les autoritĂ©s, bien que celui-ci ait assurĂ© avoir effectuĂ© les formalitĂ©s juridiques requises par le dĂ©cret royal de 1958 relatif aux rassemblements publics. Une semaine avant le Forum mondial des droits de l’homme, le tribunal administratif de Rabat a donnĂ© raison Ă  l’AMDH en estimant que l’interdiction prononcĂ©e par le ministère de l’IntĂ©rieur Ă©tait illĂ©gale, et a ordonnĂ© au ministère de verser 100 000 dirhams marocains (environ 9 000 euros) au groupe de dĂ©fense des droits humains Ă  titre d’indemnisation.

Deux membres de l’AMDH se trouvent toujours derrière les barreaux pour avoir signalĂ© qu’ils avaient Ă©tĂ© agressĂ©s après avoir pris part Ă  des manifestations pacifiques. En juin et juillet, Oussama Housne et Wafaa Charaf ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s coupables d’affirmations mensongères. Ils avaient dĂ©clarĂ© que des inconnus les avaient prĂ©cĂ©demment enlevĂ©s et torturĂ©s. Ils ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă  trois et deux ans de prison respectivement. Les tribunaux leur ont par ailleurs ordonnĂ© de verser des dommages et intĂ©rĂŞts pour avoir « diffamĂ© » la police, bien que ni l’un ni l’autre ne l’aient accusĂ©e. Les poursuites ouvertes contre eux et leur incarcĂ©ration font craindre que les personnes ayant Ă©tĂ© victimes de torture et d’autres formes de mauvais traitements aux mains de la police ne soient dissuadĂ©es de le signaler. Amnesty International demande leur libĂ©ration immĂ©diate.

Les restrictions imposĂ©es Ă  ces diffĂ©rents groupes surviennent après des remarques faites par le ministre de l’IntĂ©rieur au Parlement marocain le 15 juillet, selon lesquelles « certaines associations et entitĂ©s internes s’activent sous couvert de dĂ©fense des droits humains », mais accusent en rĂ©alitĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment les forces marocaines de sĂ©curitĂ© de violations des droits humains sans fondement dans le but d’« amener certains organismes et ONGs internationaux Ă  prendre des positions contre les intĂ©rĂŞts du Maroc ». Il a prĂ©cisĂ© que ces intĂ©rĂŞts incluaient son «  intĂ©gritĂ© territoriale », faisant ainsi semble-t-il rĂ©fĂ©rence aux revendications territoriales contestĂ©es du Maroc sur le Sahara occidental.

Huit groupes sahraouis, dont l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’homme commises par l’État marocain (ASVDH) et le Collectif de dĂ©fenseurs sahraouis des droits de l’homme (CODESA), ont Ă©galement fait savoir qu’ils ne participeraient pas au Forum mondial des droits de l’homme, mentionnant les restrictions persistantes de la libertĂ© d’association au Sahara occidental, entre autres raisons. Des groupes sahraouis font partie d’un certain nombre d’associations Ă©prouvant depuis longtemps des difficultĂ©s pour obtenir leur enregistrement officiel auprès des autoritĂ©s marocaines. Par exemple, les autoritĂ©s marocaines continuent Ă  considĂ©rer l’ASVDH comme une association non enregistrĂ©e, bien qu’une dĂ©cision de justice ait Ă©tĂ© prononcĂ©e en sa faveur par un tribunal administratif en 2006, confirmant que l’association avait Ă©tĂ© crĂ©Ă©e conformĂ©ment aux règlements en la matière. Cet enregistrement est essentiel pour que les groupes puissent fonctionner en toute lĂ©galitĂ©, avoir des bureaux officiels, organiser des manifestations publiques et solliciter des financements.

D’autres groupes de dĂ©fense des droits humains au Maroc ayant des difficultĂ©s Ă  se faire enregistrer incluent plusieurs branches de l’AMDH, ainsi que Freedom Now. Nouvelle venue sur la scène des droits humains au Maroc, Freedom Now est une organisation Ĺ“uvrant en faveur de la libertĂ© de la presse, fondĂ©e par des dĂ©fenseurs des droits, des personnalitĂ©s de premier plan et des journalistes indĂ©pendants, parmi lesquels Ali Anouzla, dont le site Internet d’information, Lakome, a Ă©tĂ© fermĂ© après qu’il eut Ă©tĂ© poursuivi en vertu de la lĂ©gislation antiterroriste. Ali Anouzla est actuellement jugĂ© pour avoir prĂ©tendument « fait l’apologie » du terrorisme, après avoir rendu compte d’une vidĂ©o du groupe armĂ© Al QaĂŻda au Maghreb islamique (AQMI). Amnesty International a demandĂ© Ă  maintes reprises aux autoritĂ©s marocaines d’abandonner toutes les poursuites ouvertes contre lui et d’Ă©teindre une action publique qui ressemble Ă  une sanction contre son indĂ©pendance Ă©ditoriale et ses critiques Ă  l’Ă©gard des autoritĂ©s.

En mai, les autoritĂ©s locales ont rejetĂ© les documents soumis par Freedom Now afin d’obtenir son enregistrement et refusĂ© de lui dĂ©livrer un reçu confirmant la date de dĂ©pĂ´t de sa dĂ©claration, une procĂ©dure obligatoire aux termes de la loi. Cette procĂ©dure autorise Freedom Now Ă  opĂ©rer en toute lĂ©galitĂ© Ă  moins que les autoritĂ©s ne contestent lĂ©galement son enregistrement dans les soixante jours. En juin, la police a bloquĂ© l’accès Ă  un emplacement oĂą Freedom Now avait prĂ©vu d’animer une manifestation publique. En juillet, un tribunal administratif a rejetĂ© pour des raisons de procĂ©dure la demande dĂ©posĂ©e par le groupe en faveur d’une rĂ©vision judiciaire du refus des autoritĂ©s de l’enregistrer. Le tribunal a estimĂ© que compte tenu de son statut d’organisation non enregistrĂ©e, Freedom Now n’Ă©tait pas en mesure d’intenter une action en justice.

Enfin, le 12 octobre 2014, les autoritĂ©s marocaines ont interdit l’entrĂ©e sur leur territoire d’une dĂ©lĂ©gation d’Amnesty International souhaitant recueillir des informations sur la situation de migrants et de rĂ©fugiĂ©s dans le nord du pays et Ă  la frontière avec les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Une deuxième mission d’Ă©tablissement des faits qui devait commencer le 9 novembre, et dont les autoritĂ©s avaient eu connaissance plus de deux semaines Ă  l’avance, a Ă©tĂ© annulĂ©e par l’organisation après que les autoritĂ©s marocaines eurent posĂ© comme condition la tenue de rĂ©unions prĂ©alables, Ă  Rabat, afin de parvenir Ă  un accord sur les paramètres de cette visite, condition Ă©quivalant Ă  une restriction. Amnesty International n’avait pas connu de telles contraintes dans le cadre de son travail de recherche sur les violations des droits humains dans ce pays depuis son expulsion en 1990. Elle avait ensuite dĂ» attendre trois ans pour ĂŞtre de nouveau autorisĂ©e Ă  se rendre sur le territoire marocain.

AMNESTY INTERNATIONAL, DÉCLARATION PUBLIQUE, 28 novembre 2014.

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