Dans une rubrique parue dans l’hebdomadaire marocain Tel Quel sous le titre « L’affaire Ben Barka, un général, mais quel général ? », Hamid Barrada, devenu depuis longtemps la plume supplétive, haineuse des adversaires et des ennemis de Mehdi Ben Barka, atteint l’abject et le méprisable. Il insinue que le 29 octobre 1965, Ben Barka n’avait pas rendez-vous avec le Général de Gaulle, mais, sous-entend que c’était avec le général Oufkir, cherchant ainsi à faire croire au lecteur non averti par cette manœuvre grossière qu’il n’y avait pas eu de complot ni de préméditation pour organiser la disparition de Mehdi Ben Barka.
Trous de mémoire ou plutôt fabulation démente, mensonge infâme, lâche ignominie… L’enjeu de cette opération est de porter atteinte au parcours et à l’identité politiques de la figure emblématique du combat pour l’indépendance du Maroc, de son émancipation politique, économique et social, l’un des principaux leaders du Tiers Monde dont les Marocains ont commémoré le 50ème anniversaire de l’enlèvement et de la disparition.
Nous sommes indignés mais peu surpris par les insinuations insidieuses et les allégations fabriquées de Hamid Barrada qui relèvent du mensonge. Il n’en est pas à sa première tentative tant il a fait de l’outrage à la mémoire de Mehdi Ben Barka et des jugements diffamatoires sa spécialité. Il a maintes fois repris à son compte les accusations montées de toutes pièces contre Mehdi Ben Barka par les agents du régime d’avoir voulu assassiner Hassan II. Il a adopté le proverbe attribué à Beaumarchais : «calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose».
Il ne suffit pas d’appeler à la rescousse le témoignage arrangé d’un homme digne et respectable qu’est Lakhdar Brahimi, de le présenter de manière tronquée, tendancieuse et malveillante pour donner quelque crédit à des propos vulgaires et dégradants. Voici le témoignage de l’ancien Ambassadeur algérien exprimé lors du colloque international à l’occasion du 40ème anniversaire de l’enlèvement et de la disparition de Mehdi Ben Barka, au Sénat à Paris, les 29 et 30 octobre 2005 :
« Durant les trois années précédant sa disparition, j’avais eu la chance de rencontrer Mehdi Ben Barka fréquemment et longuement. Lors de ses passages au Caire où j’étais alors en poste, je le voyais souvent et nos entretiens, à deux ou avec d’autres, se prolongeaient souvent tard dans la nuit. La veille de ce voyage qui devait se terminer si tragiquement à Paris, nous étions restés ensemble jusqu’à l’aube et je l’avais accompagné directement au vol de Swissair qui l’emmena à Genève. Nous avions parlé longuement de ce voyage, des rencontres qu’on disait lui avoir préparé aussi bien à Genève qu’à Paris. On le sait maintenant, il avait longuement hésité avant d’accepter de se rendre dans la capitale française. Ses propres hésitations et les craintes de ses amis qui lui avaient conseillé la prudence se sont avérées cruellement justifiées, hélas ! »
Quand on veut rendre compte honnêtement des actes et des faits politiques, il est essentiel d’être précis, notamment en ce qui concerne la chronologie. Hamid Barrada n’ignore pas qu’en cette fin d’octobre 1965, les négociations entre le Palais et les amis de Mehdi Ben Barka, son parti, l’U.NF.P, étaient rompues depuis juillet, unilatéralement par Hassan II. La priorité de Mehdi Ben Barka était alors la tenue de la Tricontinentale dans la préparation de laquelle il était totalement investi. La raison de son voyage à Paris entrait dans ce cadre : rencontrer Franju, Figon et Bernier pour le film-piège « Basta », et, sans ambiguïté ni sous-entendu fielleux, les proches du Général de Gaulle. D’ailleurs, s’il avait voulu rencontrer des « personnalités » marocaines, il ne serait sûrement pas passé par l’intermédiaire de la police française.
Tous les éléments du dossier d’instruction, toutes les enquêtes journalistiques sérieuses confirment l’ampleur du complot organisé pour éliminer Mehdi Ben Barka. En tant que personne toujours bien informée, Hamid Barrada ne peut pas l’ignorer. De même qu’il ne peut pas ignorer une note d’Antoine Lopez, chef d’escale à Orly et agent du SDECE, après un séjour au Maroc au mois de mai 1965, et rendue publique il y a de nombreuses années : « Le général [il s’agit bien d’Oufkir cette fois-ci] m’a confirmé son projet de récupération de Ben Barka, mais il doit attendre les résultats de la déclaration de Sa Majesté préconisant un gouvernement d’union nationale … Il n’a pas hésité à me confier le désir des dirigeants marocains de mettre fin à la position de Ben Barka suivi des procédés non orthodoxes ».
Mais, pour corroborer ses allégations, Hamid Barrada n’hésite pas attribuer à Mehdi Ben Barka la responsabilité des nominations d’Oufkir comme aide de camp de Mohamed V à son retour d’exil au Maroc et comme directeur de la Sûreté nationale en 1960.
Technique bien connue de tous les manipulateurs des faits et falsificateurs de l’histoire : s’appuyer sur des éléments fabriqués de toutes pièces pour avancer les thèses les plus improbables. Seulement, les faits sont têtus et les lecteurs de Tel Quel n’ont pas la mémoire aussi courte que l’espère Hamid Barrada.
L’Assemblée nationale consultative dont Mehdi Ben Barka était le président est dissoute en mai 1959. Fin 1959, l’UNFP tient son premier congrès consacrant le divorce au sein du parti de l’Istiqlal et la rupture avec le Palais. A partir de janvier 1960, Mehdi Ben Barka est contraint à un exil volontaire à Paris, suite à la « découverte » d’un « complot » contre le prince héritier Hassan dans lequel sont également impliqués Abderrahman Youssoufi et Fqih Mohamed Basri – directeur et rédacteur en chef du journal de l’UNFP « Attahrir ». En mai 1960, le gouvernement d’Abdallah Ibrahim est renvoyé. Qui, à part Hamid Barrada et les tenants de la réécriture de l’histoire, peuvent croire que MBB et/ou ses amis peuvent encore avoir une quelconque influence sur le choix d’un personnage aussi central que celui du directeur de la sûreté nationale dans le système répressif qui est en train de se mettre en place et dont ils seront les principales victimes ?
Drôle de lecture de l’histoire, mettant sur le même plan le combat militant pour la démocratie, la liberté et la justice que symbolisait Mehdi Ben Barka, sa défense intransigeante des droits des Marocains à la dignité et le choix assumé de la répression systématisée – enlèvements, tortures, assassinats, disparitions forcée… Hamid Barrada affranchit ainsi le régime de Hassan II et ses bras armés Oufkir, Dlimi, Driss Basri et consorts de leurs crimes durant les années de plomb, dans une tentative vaine de lui donner du vernis.
Cet acharnement à salir la mémoire de Mehdi Ben Barka n’a d’égal que l’acharnement de la raison d’Etats à empêcher la justice de faire toute la lumière sur son enlèvement et sa disparition. Cinquante ans après sa mort, la mémoire de Mehdi Ben Barka continue de gêner et de susciter des campagnes haineuses de dénigrement. Mais ses plus farouches adversaires, comme ses ennemis les plus acharnés, n’ont pu ternir l’impact profond et durable qu’il a laissé dans l’opinion nationale et internationale. Aux uns, sa mémoire condamne leurs abandons et leurs trahisons, aux autres leurs ignominies, leurs lâchetés et leurs crimes.
Plus que jamais, la prophétie de Daniel Guérin est justifiée : « ce mort aura la vie dure, ce mort aura le dernier mot ».
Belfort le 10 mars 2016
Bachir Ben Barka
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